Comment défendre l’indéfendable ? [INTERVIEW]

Pour l’avocat, défendre son client devient une épreuve autrement plus difficile, plus sujette à hésitations et critiques de la part d’une société ne comprenant pas son combat. Comment un avocat peut-il défendre un criminel semble être l’une des principales questions que cette même société se pose.

Me Eric Morain et Me Christian Saint-Palais, acteurs de la justice pénale, ont été réunis pour livrer leurs ressentis et expliquer comment la justice fonctionne quand elle est confrontée au pire et pourquoi il faut défendre tout le monde.

[Entretien réalisé en 2017]

« Comment défendre l’indéfendable ? », que cela vous évoque-t-il ?

E.M. : Le jour où certains deviendront avocats, ou diront à leur entourage qu’ils veulent être avocats, vous aurez 10 fois, 100 fois, 1000 fois « mais comment tu peux… ?

C.S-P. : Je crois qu’il faut s’interdire de reposer cette question. Il est évident que dans un État de droit, dans un État démocratique, il faut que chacun soit défendu.

La question ne doit même pas se poser. Évidence première, ceux qui sont mis en cause dans une procédure, sont certes présumés innocents, mais ça veut dire qu’ils ne sont pas forcément coupables.

Des juges très bien intentionnés ont parfois des convictions, qu’ils étayent sur des éléments qu’ils ont réunis, éclairés par des experts qui sont derrière leur caméra et qui tirent des conclusions sur le profil de celui qu’ils examinent, et pensent que la personne est coupable.

Heureusement qu’un œil extérieur permet à cette personne, qui conteste les faits, de se défendre. Donc, évidemment, tous doivent être défendus, quelles que soient les accusations qui pèsent contre eux.

C’est comme si on reprochait à un médecin de n’avoir que des malades dans sa salle d’attente.

Est-ce un sentiment de devoir qui anime l’avocat pénaliste ?

E.M. : Un de nos éminents et anciens confrères, aujourd’hui décédé, avait écrit un livre qui est notre livre de chevet à tous : « Les défendre tous » (d’Albert Naud). A partir du moment où vous commencez à faire une liste sur « je ne veux pas défendre ceux-là »,  » je ne vais pas pouvoir défendre celle-ci », « je ne vais pas pouvoir défendre tel ou tel fait », la liste est… inimaginable.

C’est comme si on reprochait à un médecin de n’avoir que des malades dans sa salle d’attente. A partir du moment où vous exercez comme avocat pénaliste, forcément vous allez être confronté au pire de la misère humaine, au pire de ce que l’humain est capable de faire, mais aussi au pire de ce que la Justice est capable de broyer, dans un cercle familial, dans une vie personnelle et professionnelle.

Vous allez être là pour être celui qui va dire « on ne passe pas » ou en tout cas « on ne passe pas n’importe comment ». On passe parce qu’il y a des règles. Il y a 15 jours encore, on a eu des débats absolument inouïs dans la presse.

Tout à coup, on vient dire que celui-là on ne peut pas le défendre, celui-là on n’a pas le droit de le défendre, celui-là il n’a même pas le droit de bénéficier de l’aide juridictionnelle, alors que son avocat ne l’a même pas demandée.

Si on commence à faire des exceptions, ce n’est plus un État de droit, parce qu’un État de droit est un État justement sans exception.

Quel est votre rapport vis-à-vis de l’individu jugé ?

C.S-P. : Pourquoi même quelqu’un qui reconnaîtrait sa responsabilité pour des faits extrêmement graves doit être aussi défendu ?

On ne juge pas un crime, mais on juge un homme qui, le cas échéant, a commis un crime, lequel peut susciter une très grande émotion. Il va falloir appliquer à cet homme une sanction qui répond au trouble à l’ordre public, mais qui soit adaptée à sa personnalité.

Il va falloir qu’un procès soit organisé, où une place va lui être accordée. Place qui sera occupée par le mis en cause lui-même et par son avocat, qui va venir apporter des éléments permettant au juge de mieux cerner la personnalité, de mieux comprendre le passage à l’acte.

Et donc, s’il y a lieu, de déterminer la sanction la plus adéquate dans l’intérêt de tous, c’est à dire dans l’intérêt de l’ordre public.

Qui sont Eric Morain et Christian Saint-Palais ?

Eric Morain est avocat pénaliste français depuis plus de 20 ans. Débutant comme collaborateur puis très vite associé chez une des grandes figures des avocats pénalistes, Jean-Marc Varaut, il est aujourd’hui avocat associé au sein du réseau Carlara International. Il est un habitué des cours d’assises et des tribunaux correctionnels.

De son côté, Christian Saint-Palais, avocat au Barreau de Paris depuis 1992, ancien Secrétaire de la Conférence, associé de Jean-Yves Le Borgne, exerce essentiellement en droit pénal et droit pénal des affaires. Il intervient ainsi dans les procès « du Sentier« , de l’Erika, de l’Angolagate, dans « l’affaire du financement du RPR« , celle dite du « Médiator« , « l’affaire bygmalion« , les dossiers « taxe carbone« , et a notamment été l’avocat de Redouane Faid. Il plaide régulièrement devant les Cours d’Assises et tribunaux correctionnels français.

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