Harcèlement moral et droit disciplinaire : pas le même régime de preuve !
Le Conseil d’Etat a récemment jugé que les règles d’administration de la preuve applicables dans les litiges portant sur l’existence d’une situation de harcèlement moral ne doivent pas être mises en œuvre dans le cadre de poursuites disciplinaires contre un fonctionnaire auquel des faits de harcèlement sont imputés (CE, 2 mars 2022, n° 444556). Que vous soyez l’autorité disciplinaire à l’origine des poursuites ou l’agent poursuivi, n’hésitez pas à consultez un avocat en Droit du travail lorsqu’il est question de faits de harcèlement moral.
Le juge administratif opère ainsi une séparation entre le régime juridique du harcèlement moral, mis en œuvre dans le cadre d’un recours de l’agent qui s’en estime victime, et les règles régissant la procédure disciplinaire diligentée à l’encontre d’un agent auquel il est reproché des faits de harcèlement moral.
Pour rappel, aux termes de l’article L133-2 du code général de la fonction publique :
Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’affaire soumise au Conseil d’Etat (I), n’est pas sans emporter de conséquences pratiques, tant pour l’autorité disciplinaire à l’origine des poursuites que pour l’agent poursuivi (II).
Retour sur les faits de l’affaire soumise au Conseil d’Etat
En l’espèce, un universitaire avait fait l’objet de poursuites disciplinaires relatives à son comportement à l’égard de trois de ses collègues, susceptible de constituer une situation de harcèlement moral.
La section disciplinaire de l’université a d’abord sanctionné l’universitaire, lequel a contesté la sanction devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).
Le CNESER l’a alors relaxé des fins de poursuites disciplinaires engagées contre lui, motivant l’université à saisir le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de cette décision.
Le CNESER a relevé que les faits reprochés à l’universitaire étaient insuffisants pour caractériser l’existence d’une situation de harcèlement moral à l’encontre de ses trois collègues.
Aussi, le Conseil d’Etat rappelle qu’il incombait seulement au CNESER, statuant en matière disciplinaire, de se former une conviction quant à l’existence d’une situation de harcèlement moral en fonction des éléments du dossier.
Il n’appartenait pas au CNESER, contrairement à ce que soutenait l’université, de faire application du régime juridique propre aux recours contentieux en matière de harcèlement moral afin de déterminer si l’universitaire était à l’origine d’une telle situation à l’encontre de ses collègues.
Le Conseil d’Etat a alors relevé qu’en l’espèce le CNESER n’avait pas commis d’erreur de droit en ne mettant pas en œuvre le mécanisme probatoire particulier institué au profit des victimes d’agissements constitutifs de harcèlement moral.
Ce qui a motivé, en conséquence, le rejet du pourvoi de l’université.
En pratique : la nuance ainsi apportée par le Conseil d’Etat n’est pas sans importance
En effet, en matière disciplinaire, il incombe à l’autorité de se former une conviction quant à l’existence d’une situation de harcèlement moral imputable au fonctionnaire poursuivi.
Alors que si l’autorité disciplinaire devait faire application des règles propres aux recours contentieux en matière de harcèlement moral (application du mécanisme probatoire particulier institué au profit des victimes d’agissements constitutifs de harcèlement moral, selon les mots du Conseil d’Etat), elle aurait pu se contenter, pour retenir une l’existence d’une telle situation et ainsi sanctionner l’agent, d’une simple présomption de harcèlement moral au regard des éléments du dossier :
Considérant d’’une part, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; (…) (CE, 11 juillet 2011, n° 321225)
Cette décision a donc le mérite de clarifier le régime de la preuve s’agissant de poursuites disciplinaires liées à une potentielle situation de harcèlement moral :
Pour l’agent poursuivi :
Il doit s’assurer que l’autorité disciplinaire s’est réellement formé une conviction quant à l’existence d’une situation de harcèlement moral qui lui serait imputable.
L’agent poursuivi ne doit pas être sanctionné pour une simple présomption de harcèlement moral.
Dans le cas contraire, il aura l’opportunité de saisir le juge administratif aux fins d’annulation de la sanction.
Pour l’autorité disciplinaire à l’origine des poursuites :
Elle ne doit pas se contenter, pour sanctionner l’agent poursuivi, de relever l’existence d’une simple présomption de harcèlement moral comme l’exigerait le juge administratif au profit des victimes de harcèlement dans le cadre d’un recours contentieux.
Dans le cas contraire, elle risque de voir la sanction être annulée au contentieux.