Cession de fonds de commerce ou cession de droit au bail : comment choisir ?
On sait que le bail commercial constitue l’actif principal du fonds de commerce et qu’il peut être cédé en contrepartie d’un prix. En l’occurrence, le commerçant désireux de céder son bail peut le faire de deux manières :
- soit en procédant à une cession isolée du bail commercial : on parle alors de cession de bail ;
- ou bien, en procédant à une cession du bail avec l’ensemble des éléments composant le fonds (clientèle, enseigne, outils de production…) : on parle alors de cession de fonds de commerce.
Cession de fonds de commerce ou cession de bail : un choix trompeur
Les commerçants se demandent souvent quelle est l’opération la plus avantageuse : vaut-il mieux céder son fonds de commerce ? Ou bien céder son droit au bail ?
Il s’agit en réalité d’une question piège : dans la grande majorité des cas, il n’y a pas d’option possible.
Comme on va le voir, dès lors que le commerçant cède son établissement à un repreneur sans modifier la nature de l’activité, il y a nécessairement cession de fonds de commerce aux yeux de la loi. Les parties devront donc accepter l’ensemble des conséquences juridiques liées à la cession (notamment, la reprise obligatoire des salariés).
Inversement, si le repreneur change l’activité exercée (par exemple en transformant un local de restaurant en un local de boulangerie…) il ne peut y avoir cession de fonds de commerce, mais seulement cession de droit au bail. Là encore, les parties devront accepter les conséquences juridiques liées à l’opération (en demandant l’accord du bailleur notamment).
Il est donc essentiel de comprendre la différence entre cession de fonds de commerce et la cession de bail pour connaître la catégorie juridique de l’opération effectivement réalisée.
Cession de fonds de commerce ou cession de bail commercial : une différence d’objet
La principale différence entre cession de fonds de commerce et cession de bail commercial est une différence d’objet : dans un cas, on cède le bail isolément, dans l’autre, on cède le bail de manière globale avec l’ensemble des autres éléments constituant le fonds : clientèle, enseigne et outils de production, etc.
C’est pourquoi, si l’acquéreur entend exercer dans le local la même activité que le vendeur (par exemple, un restaurateur qui cèderait son établissement à un autre restaurateur, en continuant à exercer une activité de restaurant dans les lieux) il y a à priori cession de clientèle, et donc, cession de fonds de commerce.
Inversement, si l’acquéreur entend modifier l’activité exercée dans les lieux, il n’y aura pas transfert de clientèle : ce sera donc bien une cession de droit au bail.
Cession de fonds de commerce et cession de bail : différence de valorisation
On ne valorise pas une cession de bail commercial comme une cession de fonds de commerce.
Dans une cession de droit au bail, le prix de vente du bail est généralement déterminé en fonction du montant du loyer, selon la méthode dite de « l’économie de loyer ». Concrètement, plus le loyer est faible au regard du marché, plus le prix de cession du bail sera élevé. Inversement, plus le loyer est élevé, plus le prix de cession sera minoré.
En matière de cession de fonds de commerce, on procède différemment.
Comme on l’a vu, la cession de fonds de commerce est avant tout une cession d’entreprise, puisque le commerçant cède l’intégralité de son outil de travail.
Généralement, on détermine le prix de cession de fonds de commerce grâce à des barèmes appliqués au chiffre d’affaires, qui diffèrent en fonction du secteur d’activité (les barèmes les plus connus sont ceux des éditions Francis Lefèbre ; le Bodacc constitue également une source d’information précieuse).
On peut également valoriser le fonds de commerce avec des méthodes financières appliquées en fonction des bilans et comptes de résultat du cédant : on s’intéressera aux performances financières du fonds, passées et à venir, à l’analyse de l’EBE, à la valeur réelle des actifs de l’entreprise (méthode de l’actif net comptable, etc.).
Certaines agences immobilières se réfèrent simplement à des comparaisons, en déterminant le prix de cession grâce à des exemples d’opérations similaires réalisées dans la même zone. Attention : si elle a le mérite de l’efficacité, la méthode de valorisation du fonds par comparaison est cependant trompeuse, dans la mesure où elle ne reflète pas les performances économiques de l’entreprise.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une cession de fonds de commerce ou d’une cession de bail commercial, la détermination du prix de cession est généralement le résultat d’une négociation tripartite : d’un côté, le prix que le vendeur pourra accepter ; d’un autre, celui que l’acquéreur sera prêt à payer ; enfin, si l’opération est financée par emprunt, le montant que le banquier acceptera de financer.
Conséquence principale de la cession de fonds de commerce : reprise des salariés
La conséquence principale d’une cession de fonds de commerce concerne les salariés : l’article L. 1224-1 du Code du travail prévoit en effet un transfert automatique des contrats de travail par le repreneur de l’entreprise. Cette disposition s’applique obligatoirement, qu’il s’agisse d’une cession de fonds de commerce ou d’un rachat des titres de la société cédée avec changement de contrôle.
C’est généralement afin d’essayer de contourner ces dispositions, pour ne pas avoir à reprendre les salariés, que les parties préfèrent passer par une cession de droit au bail, opération n’impliquant pas de transfert des contrats de travail.
Ce type de procédé est interdit et sera considéré comme frauduleux : la reprise des salariés est une disposition protectrice d’ordre public, qui s’impose au repreneur d’entreprise. L’idée principale est que si vous reprenez la même activité que celle du vendeur, il y a reprise de l’entreprise (reprise du fonds, de l’activité, à destination de la même clientèle).
Aussi, si les parties tentent d’inciter les salariés à démissionner, ou maquillent l’acte de cession de fonds de commerce en cession de bail sans reprise des contrats de travail, elles s’exposent à des conséquences particulièrement graves : les salariés injustement licenciés pourraient saisir le Conseil de Prud’hommes afin de demander des dommages-intérêts pour licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse.
Conséquence principale de la cession de bail : nécessité d’obtenir l’accord du bailleur
La cession de droit au bail n’a pas que des avantages. Certes, il n’y a pas d’obligation de reprise des salariés, car le vendeur ne cède pas son activité. Il cède seulement l’emplacement, le local.
Toutefois, alors que l’accord du bailleur n’est pas nécessaire en cas de cession de fonds de commerce, il est en revanche impératif pour une cession de droit au bail. En effet, dans la grande majorité des cas, le bail commercial contient une clause interdisant la cession isolée du bail commercial, impliquant d’obtenir l’accord préalable du bailleur pour réaliser l’opération.
De plus, on a vu que généralement la cession de bail s’accompagne d’un changement d’activité par le repreneur (à défaut il y aurait en principe cession de fonds de commerce).
Là encore, l’accord du bailleur sera généralement nécessaire pour changer l’activité du bail (on parle de déspécialisation) sauf à ce que le bail renferme une clause « tous commerces », rare en pratique.
C’est pourquoi la cession de bail commercial est une véritable négociation tripartite, entre vendeur, acquéreur et bailleur.
Pour accepter l’opération, le bailleur sollicitera généralement une indemnité (une forme de droit d’entrée pour agréer le repreneur).
Cette indemnité payée au bailleur viendra forcément minorer le prix de cession payé par l’acquéreur au vendeur : imaginez que le vendeur souhaite céder son bail 50.000 euros, mais que le bailleur exige en contrepartie du changement d’activité, et pour agréer le cessionnaire, 20.000 euros d’indemnité de déspécialisation : il y a fort à parier que l’acquéreur négocie le prix de cession à la baisse, afin de payer 30.000 au cédant, et 20.000 au bailleur.
Cession de fonds de commerce et cession de bail : des étapes similaires
Si, sur le fond, la cession de bail et la cession de fonds de commerce ont des différences importantes, sur la forme, les étapes de la cession sont sensiblement les mêmes.
Dans les deux cas, les parties commenceront habituellement par signer une promesse de cession assortie généralement des conditions suspensives suivantes :
- condition suspensive d’obtention du financement par l’acquéreur ;
- condition suspensive de purge préalable du droit de préemption de la commune s’il est applicable.
En fonction des dossiers, on pourrait imaginer d’autres types de conditions suspensives (par exemple, autorisation d’une modification de l’activité du bail, partielle ou intégrale, autorisation par la copropriété d’effectuer certains travaux, autorisation de changement de façade par la commune, etc.).
Pour sécuriser l’opération, on prévoit généralement une indemnité d’immobilisation, payée par le cessionnaire au cédant : il s’agit d’une somme, représentant habituellement 10 % du prix de cession, qui sera séquestrée sur le compte Carpa de l’avocat du vendeur, jusqu’à l’exécution des conditions suspensives. Si les conditions ne sont pas levées, l’indemnité sera reversée à l’acquéreur.
Inversement, si les conditions suspensives sont levées mais que l’acquéreur refusait de signer, le cédant conserverait l’indemnité d’immobilisation, à titre de dédommagement. D’autres sanctions pourraient également s’appliquer (comme la condamnation de l’acquéreur à procéder à la vente forcée sous astreinte).
Si l’acquéreur obtient son crédit, que la Mairie ne préempte pas, et que l’ensemble des conditions prévues dans la promesse sont levées, les parties procéderont en principe à la signature de l’acte définitif de vente.
Là encore, il n’y a pas de différence entre cession de fonds de commerce et cession de droit au bail. Notez qu’il est aujourd’hui possible, dans les deux cas, de procéder par signature électronique (soit par notaires, soit en utilisant l’Acte d’Avocat électronique mis en place par le Conseil National des Barreaux).
Il faudra alors procéder aux formalités post-cession pour lesquelles il existe certaines différences entre cession de bail et cession de fonds de commerce.
Cession de fonds de commerce et cession de bail : différences de formalités après la cession
La grande différence entre cession de bail et cession de fonds de commerce tient au fait qu’il n’y a pas de séquestre obligatoire du prix en cas de cession de droit au bail.
En effet, contrairement à la cession de fonds de commerce, la loi ne prévoit pas de solidarité fiscale entre cédant et cessionnaire. Le règlement du prix peut donc s’effectuer directement auprès du vendeur.
Inversement, en cas de cession de fonds de commerce, on sait que le prix de cession doit être séquestré (en général sur le compte Carpa de l’avocat du vendeur) pour protéger le cessionnaire à raison de la solidarité fiscale qu’il encourt envers le cédant.
Cette solidarité fiscale (prévue par l’article 1684 du Code général des impôts) est en principe d’une durée de 90 jours et peut être réduite à 30 jours sous condition. Elle porte sur les impôts dont le vendeur est redevable (IS ou IR selon le cas) et sur la taxe d’apprentissage notamment.
C’est pourquoi, pour protéger l’acquéreur, il est obligatoire de séquestrer le prix de cession jusqu’à l’expiration de cette période de solidarité.
Autre différence entre cession de fonds de commerce et cession de droit au bail : il n’y a pas d’obligation de procéder à la publication de l’opération en cas de cession de bail (les créanciers nantis devront simplement être informés par lettre recommandée après l’opération).
En revanche, dans les deux cas, cession de bail et cession de fonds de commerce, il conviendra de procéder à l’enregistrement de l’acte et l’acquéreur devra régler les droits d’enregistrement s’appliquant, à savoir :
- 3% sur la fraction du prix de vente comprise entre 23 000 et 200 000 euros,
- 5% pour la fraction du prix supérieur à 200 000 euros.
À défaut de mention contraire dans l’acte, les droits d’enregistrement seront à la charge de l’acquéreur.
Enfin, dernières formalités obligatoires dans les deux cas :
- réaliser un état des lieux entre le bailleur et le cessionnaire lors de l’entrée en possession des lieux, conformément à l’article L. 145-40-1 du Code de commerce ;
- signifier la cession du bail au bailleur, conformément à l’article 1690 du Code civil (sauf à ce que le bailleur soit appelé à l’acte) : à défaut, la cession lui serait inopposable, et le cessionnaire pourrait se voir expulsé, considéré comme un occupant sans droit ni titre.
L’information des créanciers en cas de résiliation du bail commercial
Dans certains cas, il peut arriver que le commerçant ne trouve pas d’acquéreur, que ce soit pour son fonds de commerce ou son droit au bail. Cela peut être lié à une conjoncture économique défavorable (telle que la crise du covid-19…) ; à un emplacement peu attractif, ou encore à un montant de loyer surévalué.
Le locataire n’aura alors d’autre choix que de solliciter une résiliation anticipée du bail commercial. Attention : la résiliation anticipée par le locataire ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’une période triennale (au bout de 3 ans) en respectant un préavis de 6 mois, sauf à ce que les parties soient d’accord pour résilier amiablement le bail.
Dans ce cas, s’il existe des créanciers inscrits sur le fonds de commerce, la résiliation amiable du bail devra leur être notifiée un mois avant l’opération, conformément à l’article L.143-2 du Code de commerce : ces créanciers pourront le cas échéant solliciter de nouvelles garanties pour sécuriser le règlement de leur créance, après la disparition du fonds de commerce du locataire.